% Logiciel libre et entreprise % Ophir LOJKINE % Février 2017
On appelle logiciel libre une grande famille de logiciels souvent gratuits, mal connus, et qui ont parfois la réputation d'être à l'opposé du monde l'entreprise.
Nous allons essayer ici de comprendre ce qu'ils sont, quel est leur usage réel en entreprise aujourd'hui, et quels sont les coûts, les risques, et les opportunités apportés par leur adoption.
Un logiciel libre doit donc être open-source, mais cela ne suffit pas.
Il est défini par quatre libertés fondamentales:
- liberté d'utiliser le logiciel, pour n'importe quel usage,
- liberté d'étudier le logiciel (code source disponible),
- liberté de redistribuer (gratuitement ou non),
- liberté de modifier et de publier ses modifications.
On appelle licence libre toute licence logicielle qui garantit les libertés sus-mentionnées.
Deux grands types de licence libre existent :
- copyleft : obligation de rendre libre toute modification, toute nouvelle version du logiciel.
- permissive : possibilité de créer une version dérivée non-libre.
Pour une entreprise, créer et diffuser un logiciel libre implique:
- Difficile de vendre plusieurs fois le même logiciel libre: le premier utilisateur peut redistribuer lui-même le logiciel, y-compris le revendre.
- Intégrer un petit morceau de code copyleft dans un produit plus grand oblige à publier l'ensemble du produit sous une licence copyleft.
- Impossible de tirer de l'argent de ses brevets logiciels
- Limitation des revenus que l'on peut tirer de ses utilisateurs: abonnement obligatoire, publicité dans le logiciel, etc. ne sont plus viables.
- Concurrence accrue (barrière d'entrée dans le marché abaissée)
Les licences de type copyleft ont inspiré à Steve Ballmer la déclaration suivante:
Linux is a cancer that attaches itself in an intellectual property sense to everything it touches. That's the way that the license works.
Steve Ballmer, CEO, Microsoft (1er juin 2001)
Les libertés garanties sont faites pour protéger l'utilisateur du logiciel, et donc bénéficient directement aux entreprises qui utilisent des logiciels libres.
Cependant:
- Certains standards fermés (formats de fichiers, protocoles de communication) ne sont bien supportés que par les logiciels propriétaires des sociétés qui les créent. L'exemple le plus connu est certainement le format DOCX de Microsoft.
- Parfois, il est plus difficile d'obtenir du support pour un logiciel libre.
- Pour les plus petits logiciels libre, aucune garantie de pérennité n'est donnée.
Source: CIO magazine
Après les constatations précédentes, on pourrait s'attendre à ce que les entreprises fuient le logiciel libre. Ce n'est pas ce que l'on observe.
Toutes les entreprises suivantes éditent un nombre significatif de logiciels libres, et affichent publiquement leur attachement à l'open source:
- Google: Recognizing the vital role that open source software plays at Google, […]
- Apple : Apple continues to both lead and make significant contributions to many Open Source projects
- Facebook : open source has been a huge part of our engineering philosophy
- Twitter: Twitter is built on open source software.
- Microsoft (depuis moins longtemps): Microsoft engineers release, contribute to and use open source every day to do great things.
- Oracle : Oracle is clearly embracing and offering leading open source solutions as a viable choice
- Intel : Intel Drives the Open Source Spirit Forward
Tous les GAFAM, et de nombreux acteurs importants de l'informatique professionnelle contribuent.
De nombreuses entreprises plus petites, et notamment beaucoup des startups du domaine de la technologie partagent la même vision du libre.
Les grosses entreprises de l'informatique voient souvent de l'intérêt à publier un logiciel sous licence libre
- Cela améliore l'image de marque auprès des développeurs et des chercheurs.
- Cela permet d'imposer plus facilement et plus rapidement une nouvelle technologie ou une nouvelle approche dans un domaine.
- Cela évite la fragmentation d'un marché, les entreprises et les développeurs indépendants préférant contribuer au logiciel libre et le proposer également à leurs clients que de créer un équivalent.
Qu'en est-il de l'utilisation de logiciel libre par libre par les entreprises d'autres domaines ?
Dans certains domaines de l'informatique cruciaux pour les entreprises, quelques logiciels propriétaires dominent leur marché.
On peut citer
- Les systèmes d'exploitation de bureau. Windows est ultra-majoritaire en entreprise, linux n'est que très rarement utilisé sur les postes de travail en dehors des entreprises de développement logiciel.
- La bureautique, avec la suite Office de Microsoft. LibreOffice arrive loin derrière en termes de parts de marché, en particulier chez les entreprises.
- Les progiciels de gestion. SAP, SAGE, Microsoft et Oracle dominent le marché, et toutes leurs solutions sont propriétaires. Odoo, ERPNext et Dolibarr sont destinés aux plus petites entreprises, et moins utilisés.
- La gestion de document. Sharepoint de Microsoft est très utilisé en entreprise.
Dans d'autres domaines, aussi cruciaux pour les entreprises, ce sont des logiciels libres qui forment les standards de facto.
Parfois, ils ne dominent pas le marché mais sont en forte progression.
Selon W3Cook, qui mesure régulièrement les parts de marché des systèmes d'exploitations utilisés sur les serveurs accessibles depuis internet, en mai 2015
- 96,6 % des serveurs les plus populaires sont sous Linux (système copyleft)
- 1,7 % sont sous FreeBSD (système libre sous une licence permissive)
- 1,7 sont sous Windows (propriétaire).
Les systèmes de sauvegarde et analyse de grosses quantités de données sont de plus en plus demandés par les entreprises avec le développement de la récolte de données et la baisse des coûts du matériel.
Dans le domaine de l'analyse de données, R et Python (avec SciPy), tous deux libres, font office de référence.
Pour la sauvegarde et le traitement Hadoop, Spark, et les bases de données NoSQL libres sont devant leurs concurrents propriétaires.
On voit que pour ce qui est de l'utilisation de logiciels, les décisions sont faites de manières très pragmatiques.
Certains logiciels libres proposent un très bon rapport qualité-prix, et sont produits par de grosses entreprises ou fondations, qui ont les moyens d'assurer leur support
- Les logiciels libres sont très présents dans certains domaines depuis très longtemps.
- Ils sont très populaires dans le domaine de la recherche.
- Ils sont plus utilisés dans le domaine du web et de la gestion de données que dans les applications métier.
Certaines entreprises ou collectivités souhaitent migrer du logiciel propriétaire vers le logiciel libre.
Le plus souvent, pour des raisons économiques, pour économiser le prix des licences de logiciels propriétaires, mais aussi souvent pour s'affranchir de la dépendance à un éditeur de logiciel particulier, et parfois pour des raisons éthiques (migrations au sein d'administrations, de communes, de gouvernement).
Cela peut aussi être pour des raisons de sécurité, un système libre pouvant être entièrement audité en interne.
On peut citer par exemple la migration de la gendarmerie nationale vers linux.
Le calcul le plus simple à faire est celui du prix des licences économisées.
Cependant, il faut prendre en compte
- les coûts de formation
- les différences de coût de maintenance
- les différences de coût de support
Il convient de prendre en compte les risques liés à tout changement important dans un système d'information.
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Baisse de productivité et mécontentement des utilisateurs habitués à une ancienne solution.
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Risques d'incompatibilités avec les autres systèmes de l'entreprise.
Et pour le logiciel libre en particulier
- Risques liés à la pérennité du logiciel si sa communauté est réduite et ses développeurs bénévoles.
Le logiciel libre est aujourd'hui un défi pour les entreprises.
Il impose de nombreuses contraintes à l'entreprise qui les publie (le modèle de distribution classique devient non-viable), et certaines à celle qui les utilise (selon le logiciel, manque de garantie).
Cependant, il constitue une manière innovante d'approcher l'industrie logicielle, adaptée par de nombreux grands acteurs, car il permet une évolution rapide, une mutualisation des coûts de développement, une baisse des coûts d'acquisition, et une meilleure image de marque.
C'est certainement pour ces raisons qu'une étude du cabinet PAC a estimé que le marché de l'open source en France atteindrait 6 milliards d'euros en France en 2020, alors qu'il était de 4,1 milliards en 2015.
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Cette présentation est elle-même libre, sous licence CC BY 4.0.
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La source est disponible en ligne sur Github: github.com/lovasoa/logiciel-libre-et-entreprise